Le quatrième livre et roman de René Bazin prend place en Anjou, dans les Mauges. Les Noellet forment une famille de petits paysans propriétaires, au cœur d’une société traditionnelle et dans le voisinage d’un domaine dont les riches habitants passent la plus grande partie de leur temps en ville.

Des personnages fuient leur devoir ; d’autres s’y soumettent courageusement. L’histoire est grave, mais aussi sérieuse que réaliste.

« La métayère et ses filles s’étaient placées au premier rang, le long de la grille. Et, quand le régiment défila pour se rendre au champ de manœuvres, elles cherchèrent à découvrir Jacques. Mais les soldats, tout habillés de rouge et de bleu, se ressemblaient trop, ils marchaient trop vite. À peine avait-on le temps de parcourir d’un coup d’œil tous les visages d’une même ligne. Comment découvrir même un si cher ami, dans ce flot mouvant ? Marie et la mère Noellet y renoncèrent bientôt, éblouies par cette succession fatigante de couleurs vives. Antoinette, au contraire, continua de regarder. Elle aimait ses frères d’une tendresse à part, elle était leur préférée, elle voulait voir Jacques. Et voilà que, vers le milieu du défilé, un adjudant dit à demi voix, tout près d’elle : “Numéro 7, voulez-vous trois jours de consigne pour vous apprendre à porter votre fusil ?” Elle suivit le geste du sous-officier et le mouvement de tête des camarades qui désignaient l’homme. Son cœur se serra. Le numéro 7, une figure encore rose, mais amaigrie, de grands yeux bleus cernés, les épaules voûtées, un être souffrant, qui n’avait du soldat que l’uniforme et l’obéissance peureuse, c’était Jacques, le frère, le fils aimé, celui dont le père attendait encore un aide dans l’avenir !
Comme il avait changé !

– Pauvre gars, dit un gamin près d’Antoinette, il n’en a pas pour longtemps dans le ventre ! »