Le Procès de Tokyo (Yûichirô Ôoka)

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18,00 

Sous-titre du livre : Le plaidoyer du juge français pour l’innocence

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Description

Les Français connaissent le procès de Nuremberg, mais beaucoup moins celui de Tokyo. Ce livre comblera cette lacune, en étudiant spécialement le rôle d’Henri Bernard, juge français au tribunal pour l’Extrême-Orient à l’issue de la seconde guerre mondiale, qui déposa une « opinion contradictoire » face à un jugement qui lui semblait inique.

Informations complémentaires

Dimensions 15,6 × 23,4 cm
Nombre de pages

154

ISBN-13

979-10-93228-33-4

Date de parution

18 mai 2023

1 avis pour Le Procès de Tokyo (Yûichirô Ôoka)

  1. Catholica

    Voici un ouvrage curieux, traduit par Paul de Lacvivier sur l’original japonais, publié en 2012 par Yûichirô Ôoka. L’évocation de la figure d’Henri Bernard, qui fut le juge envoyé par le gouvernement français pour participer au Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient (connu sous le nom de Tribunal de Tokyo) pour juger les crimes imputés à vingt-huit hauts responsables militaires et politiques japonais, est l’occasion de riches réflexions qui se situent aux confins du droit pénal, du droit international, et de la philosophie du droit. L’itinéraire intellectuel de l’auteur, journaliste de la télévision japonaise, et visiblement francophile, l’a porté à s’intéresser à l’histoire de son propre pays, dont il estime que les Japonais d’après-guerre ont été délibérément privés, à la faveur de l’épuration intellectuelle et universitaire ayant suivi la défaite du Japon, de la censure stricte et de la « rééducation démocratique » mises en œuvre pendant la période d’occupation par le gouvernement militaire américain (1945-1952)[1], et poursuivies depuis. Le Tribunal de Tokyo, qui a siégé à partir de 1946 et a rendu son verdict en 1948, a été l’objet de travaux de recherche en nombre bien moins important que ceux suscités par le Tribunal de Nuremberg qui a jugé les dirigeants civils et militaires du Troisième Reich.

    À cet égard, il faut d’abord se souvenir qu’en France, est réprimé pénalement par une disposition introduite dans la vieille loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse par la loi dite « Gayssot », la contestation de l’existence, mais aussi le fait de nier, minorer ou banaliser « de façon outrancière » l’existence des crimes contre l’humanité et notamment de génocide, ou celle d’un crime de guerre, et ce dès lors que le crime considéré « a donné lieu à une condamnation prononcée par une juridiction française ou internationale »[2], ce qui inclut bien-sûr celles rendues à Nuremberg et à Tokyo. Certes, le Conseil constitutionnel français, saisi en 2016 d’une question préliminaire de constitutionnalité (QPC) sur la loi Gayssot, a eu l’occasion de préciser que « seule la négation, implicite ou explicite, ou la minoration outrancière de ces crimes est prohibée ; que les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet d’interdire les débats historiques[3] ». Il reste cependant que la teneur de certaines condamnations par les juridictions françaises sur le fondement de la loi Gayssot sont de nature à susciter la perplexité, et partant à hypothéquer la recherche universitaire, devant la difficulté qu’il peut y avoir à distinguer in concreto entre ce qu’un juge considérerait comme légitime recherche historique, et ce qu’il pourrait qualifier de doute, d’insinuation ou encore de négation implicite, toutes choses réprimées par la loi[4]. C’est ainsi que la littérature académique de droit pénal international, en particulier dans le monde francophone, tient le plus souvent pour acquises la légitimité du Tribunal de Nuremberg, et sa compétence pour juger les faits qui lui ont été soumis. Les irrégularités dans la procédure utilisée à l’époque (en ce qui concerne notamment l’administration de la preuve, l’audition de témoins, etc.), au regard des conceptions contemporaines des conditions du procès équitable, ont certes fait l’objet de certaines critiques, mais le plus souvent timides[5]. Une contestation radicale, principielle, de la légitimité du Tribunal de Nuremberg telle que celle que formula un Jacques Ellul affirmant que le procès était « injustifiable, juridiquement parlant », demeure ainsi tout à fait isolée[6]. Par comparaison, dans le monde universitaire anglo-saxon, il est relativement courant de nos jours de considérer que le Tribunal militaire de Tokyo suscite des difficultés graves, tout au moins d’un point de vue strictement juridique[7].

    À des non-spécialistes, l’ouvrage recensé apprendra que de telles contestations se sont manifestées alors même que se déroulait le procès, et ont été le fait de plusieurs juges du Tribunal de Tokyo. Elles ont revêtu la forme d’opinions dissidentes, un mécanisme issu de la pratique judiciaire des pays de Common law, assez généralement admis dans la procédure des cours et tribunaux internationaux. Tandis qu’aucun membre du Tribunal de Nuremberg n’avait émis d’opinion dissidente sur la question de sa compétence et sur la principes de droit appliqués par le tribunal[8], les juges français, néerlandais et indien se sont opposés au jugement du tribunal de Tokyo sur tous les points importants. Ainsi, Henri Bernard, pour la France, s’est-il écarté de la majorité au motif que « la Charte du Tribunal lui-même n’était fondée sur aucune loi en vigueur lorsque les infractions ont eu lieu » et a pu affirmer que « tant de principes de justice ont été violés au cours du procès que le jugement de la Cour serait certainement annulé pour des motifs juridiques dans la plupart des pays civilisés ». Des critiques du même ordre ont également été invoquées par les juges néerlandais et indien dans leurs opinions dissidentes respectives. Ainsi, Bernard Röling (Pays-Bas) a soutenu que « la planification militaire d’un conflit probable n’est pas nécessairement un complot d’agression » et a en outre exprimé l’opinion que le Tribunal n’aurait pas dû se prononcer sur des infractions qui auraient été commises avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Pour sa part, Radhabinod Pal (Inde) a également exprimé l’avis qu’en l’absence d’une définition internationalement reconnue de l’agression, « tout procès tel que celui que vient de mener le Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient n’est que le jugement du vainqueur sur le vaincu ».

    L’auteur insiste sur les divergences d’approche existant entre Henri Bernard, dont la courte opinion contradictoire reflète une approche jusnaturaliste (sans se revendiquer expressément comme tel), et l’Indien Pal, positiviste, dont le monumental « dissenting judgment » (qui excède de loin en longueur le jugement même du Tribunal) a fait l’objet d’une édition au Japon et a connu un grand retentissement[9]. L’auteur s’efforce de discerner dans l’opinion dissidente d’Henri Bernard, ainsi que dans sa correspondance contemporaine du procès à laquelle il a pu avoir accès, les réponses aux grandes questions juridiques soulevées par le procès de Tokyo. Parmi celles-ci, figurent au premier rang la question de la nature et des caractéristiques de la loi naturelle et celle de son statut vis-à-vis du droit positif (et notamment, en l’espèce, la Charte du tribunal), la question des critères permettant d’identifier la guerre juste, ou encore celle de la distinction entre la responsabilité pénale individuelle et celle des États. Les développements consacrés par l’auteur à ces questions n’emportent pas toujours, il faut le dire, l’adhésion. Mais il faut reconnaître que leur seule formulation, notamment telle qu’elle ressort du texte même de l’opinion dissidente d’Henri Bernard, souvent cité, invite à approfondir ces questions, en recherchant les principes de philosophie juridique susceptibles d’apporter des réponses justes aux questions de droit international posées par un événement comme la guerre menée par le Japon (et ses adversaires). Ne serait-ce que pour cette seule raison, ce petit ouvrage est précieux.

    [1] Pour une étude récente sur la politique de rééducation de masse du peuple japonais par le gouvernement militaire américain dirigé par le général Mac Arthur, on pourra consulter Ruriko Kumano, Japan Occupied. Survival of Academic Freedom, éd. Springer, Singapour, 2023.

    [2] Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, art. 24 bis.

    [3] Décision n° 2015-512 QPC du 8 janvier 2016, considérant n°8.

    [4] V. par exemple Cass. Crim., 7 nov. 1995, pourvoi n°93-85.800 ; Cass. Crim., 12 sept. 2000, Garaudy, pourvoi n°98-88204. Dans ce dernier arrêt, la Chambre criminelle précise que « […] la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité entre dans les prévisions de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, même si elle est présentée sous forme déguisée ou dubitative ou encore par voie d’insinuation ; qu’elle est également caractérisée lorsque sous couvert de recherche d’une supposée vérité historique, elle tend à nier les crimes contre l’humanité commis par les nazis à l’encontre de la communauté juive ; que tel est le cas en l’espèce ».

    [5] V. par exemple T. McKeown, « The Nuremberg Trial: Procedural Due Process at the International Military Tribunal », Victoria University of Wellington Law Review, vol. 45, 2014, pp. 109-132.

    [6] J. Ellul, « Notes sur le procès de Nüremberg », Verbum Caro, août 1947, pp. 97-112 : « Le procès de Nuremberg était injustifiable, juridiquement parlant […]. A Nuremberg il n’y avait rien d’autre qu’une relation de force et une expression de vengeance ».

    [7] V. par exemple K. Sellars, « Imperfect Justice at Nuremberg and Tokyo », European Journal of International Law, Vol. 21, n. 4, novembre 2010, pp. 1085-1102 ; R. Minear, Victors’ Justice: The Tokyo War Crimes Trial, Princeton University Press, 1971.

    [8] L’opinion dissidente du juge russe à Nuremberg n’avait exprimé son désaccord avec la majorité du Tribunal qu’à propos de l’acquittement de certains des accusés et de la peine infligée à Rudolf Hess.

    [9] Dissenting Judgment of Justice Pal, éd. Kokusho-Kankokai, Tokyo, 1999, disponible au format numérique à http://www.sdh-fact.com/CL02_1/65_S4.pdf.

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